Critique du concept de société multiculturelle appuyée sur le réel par Jean-Baptiste de Morizur, lundi 6 août 2012, 07:57 ·

6 Août

Je m’interrogeais dit il, le 29 juillet dernier pour savoir si le concept de société multiculturelle ne serait pas un oxymore, en référence à la notion latine de societas comme alliance entre des individus qui conviennent entre eux d’un lien mutuel. Le clivage structurel suggéré par l’idée de cultures différentes s’apposant, s’imposant les unes aux autres, s’agglomérant dans un espace, que celui-ci soit symbolique (la nation) ou réel (le territoire, le pays), tout en défendant leur propre autonomie m’inspirait alors une analogie avec le morcellement de son moi que tente éperdument de contenir le psychotique en prévention de son propre effondrement.

   Le multiculturalisme sociétal comme psychose offre notamment une illustration des plus manifestes dans les lois mémorialistes et historiques où le moi de la nation, aujourd’hui enclin à un processus de régression mélancolique, se trouve clivé entre bonnes et mauvaises instances, les premières sadisant les secondes, ces dernières en jouissant jusqu’au morbide. Mais tout ne relève-t-il pas aujourd’hui de cette dynamique qui n’en est pas une, puisque figeant jusqu’à la catatonie le corps national ? Toutes les revendications, féministes, religieuses, homosexuelles, identitaires,… jusqu’au droit-créance individuel totalitaire – totalitaire car imposé comme un tout récusant toute possibilité de contestation, imposition d’une non-pensée qui teinte ainsi la psychose nationale de traits pervers – le droit-créance égotiste : « J’ai droit à être comme je suis », préférant alors l’être comme néant à l’être comme temps.

 

   Je n’avais alors pas vu venir cette nouvelle illustration des aménagements pervers de la psychose nationale qu’allait être « l’affaire » des animateurs de Gennevilliers. Alors que la municipalité de Gennevilliers avait pris soin, tirant les conséquences d’un dramatique antécédent, d’édicter une règle pour assurer la sécurité des enfants pris en charge dans le cadre d’une colonie de vacances, règle qui relevait plus du bon sens commun que du principe de précaution bureaucratique, elle s’est trouvée vivement attaquée au moment de l’appliquer. Le Figaro nous apprenait ainsi [1] le 31 juillet qu’Abdallah Zekri, « président de l’Observatoire contre l’islamophobie, composante du CFCM qui représente la religion musulmane auprès des pouvoirs publics en France », condamnait « avec la plus grande fermeté la décision arbitraire [de la municipalité] », à se demander ce qui relève le plus de l’arbitraire entre cette « condamnation » « avec la plus grande fermeté » par le représentant d’une institution qui ne devrait avoir aucune autorité politique et la règle dictée par l’exécutif municipal de Gennevilliers. Le droit-créance égotiste des pervers polymorphes que sont devenus, depuis les années 1960 au moins, les citoyens de ce pays qu’était la France fut formidablement revendiqué par M. Zekri lorsqu’il lança que « La liberté religieuse est une liberté fondamentale et [qu’]on ne peut en aucun cas interdire à une personne de pratiquer sa religion » offrant ainsi en holocauste le bien commun sur l’autel d’un individualisme forcené.

    L’affaire aurait cependant pu s’arrêter là si la municipalité avait, elle, usé précisément de « la plus grande fermeté » en confirmant l’application de la règle qu’elle avait elle-même fixée, témoignant alors de l’autorité légitime qui lui avait été confiée par les citoyens de la commune.

    Mais c’eût été compter, avec une confiance qui se révéla exagérée, sur la vertu peut-être la plus importante en politique, mais aujourd’hui la plus absente des étêtés qui nous représentent et dirigent : le courage. Nous apprenions en effet le 31 juillet que le maire revenait sur la règle, et ce, nous dit-on, dans le seul but d’ « apaiser le débat » [2].

   Sans même remettre en cause le terme de « débat », s’agissant plutôt ici d’une polémique, et en cela imprégnée de violence au moins symbolique, il s’agirait de comprendre cette intention de l’apaiser plutôt et surtout comme celle de l’empêcher. Empêcher un débat, c’est empêcher la pensée, un trait caractéristique du harcèlement. Le harceleur, c’est là sa force et son intelligence, s’emploiera constamment à nier la pensée de l’autre, à la défaire, la démettre, jusqu’à ce que celle-ci n’existe plus, et que le champ imaginaire du harcelé soit totalement contaminé par l’image du premier.

   Les « réactions indignées » pour défendre les animateurs ne furent ainsi ici rien d’autre que l’exercice de la tyrannie par une minorité sur l’instance municipale au travers de sa disposition initiale, sinon légale, au moins réglementaire. La réaction de la municipalité ne devint alors rien de plus que l’abdication de son autorité pour émettre des règles.

   Il y a dans cette affaire deux groupes d’agents : les « réacteurs-défenseurs » et la municipalité. Une question se pose alors : à qui appartient la responsabilité ? Et une responsabilité double. La responsabilité première était celle de la sécurité des enfants que la municipalité avait légitimement prise pour sienne en établissant la règle qu’elle désavouera. La responsabilité seconde était celle de faire respecter la règle, responsabilité incombant également à la municipalité. En retournant sa veste la municipalité s’est donc révélée irresponsable : elle a sacrifié la sécurité d’enfants pour répondre à des sollicitations passionnées et irrationnelles, sollicitations constamment à contenir dans un régime mettant en avant conjointement les principes de Liberté et d’Égalité, et a abandonné elle-même sa propre autorité, autorité qui seule est en mesure d’assurer ces deux principes. Et je précise que le terme  de « sacrifice » n’est ici en rien exagéré puisqu’il s’agit bien de risquer la sécurité d’enfants pour que la pratique de mœurs en rapport avec le sacré soit permise.

   Au-delà de l’abandon de ces responsabilités, c’est une faute politique qui couronne la lâcheté municipale car il est à redouter les conséquences de la culpabilité que porte la municipalité de Gennevilliers après ce crime politique d’humiliation suprême (ou le crime suprême d’humiliation politique) que fut celui de transférer son autorité à une fraction de la population. Et il serait aujourd’hui judicieux de rappeler au conseil municipal de Gennevilliers les mots de Cicéron dans le Livre III de son De Legibuspotestas in populo, auctoritas in senatu.

 

   Mais peut-être est-il déjà trop tard… La presse nous informait [3], en effet, le 4 août que Hassan Ben M’Barek, président de l’association « Front des banlieues indépendant » – en attendant certainement le « Front des banlieues indépendantes » – avait déposé plainte auprès du commissariat de Gennevilliers pour, selon lui, « discrimination à l’égard d’une pratique musulmane ». Le harceleur tient sa proie, il ne la lâchera plus ; à celle-ci de céder à nouveau de l’imaginaire en annonçant la « mise en place dès septembre d’une commission permanente du dialogue, (…), sur les questions que peuvent rencontrer les musulmans sur la ville ». L’objet de ce « dialogue » est significatif en ce que le rapport politique hiérarchique entre le général et le particulier est inversé car sont privilégiées « les questions que peuvent rencontrer les musulmans sur la ville », soit l’intérêt d’une communauté qui semble se vouloir autonome au sein de la cité jusqu’à la tyranniser ; autonome puisque établissant elle-même ses règles, tyrannique puisque ne sachant souffrir qu’on lui disconvienne, fût-ce au titre du bien commun.

   Une fois le bien commun relégué au rebut, l’alliance mutuelle entre les citoyens dissoute, la notion de citoyenneté n’est elle-même plus qu’un vague souvenir, comme nous le suggérait déjà récemment l’idée d’un droit de vote des étrangers, et, son esprit ainsi morcelé, la cité s’effondre. C’est ainsi qu’apparaît que le concept d’une société multiculturelle est autrement plus grave qu’un oxymore dont on pourrait arranger les termes pour le rendre viable : il s’agit d’un suicide collectif.

 

[1] http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/07/31/01016-20120731ARTFIG00471-animateurs-suspendus-pour-avoir-jeune-colere-du-cfcm.php

[2] http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/07/31/97001-20120731FILWWW00543-ramadan-le-maire-renonce-a-imposer-a-ses-employes-de-dejeuner.php

[3] http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/08/04/97001-20120804FILWWW00424-animateurs-suspendus-plainte-deposee.php

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